Une histoire d’ELEVeS

Au commencement, quatre mamans en colère.  Interdire aux parents de changer un enfant d’école en cours de cycle leur parait insupportable. C’est le début d’une histoire qui continue à susciter bien des débats….

Janvier 2007, Priscilla Casterman assiste à une soirée parentale organisée au Sacré-Cœur de Lindhout. Le directeur Alain Maingain met en perspective les enjeux en matière de politique éducative poursuivis sous l’égide du cabinet Arena.  Une nuit agitée suffit, il faut agir.  Alertée, Célinie Brabant sa sœur, contacte Patricia d’Udekem, active dans une association de parents et moi-même vu ma pratique professionnelle notamment au cœur d’écoles bruxelloises moins favorisées.

Premières réflexions, premiers contacts tous azimuts : responsables politiques de tous partis, responsables éducatifs, praticiens du monde de l’enseignement, journalistes… Brutal plongeon dans des univers inconnus.

Le temps presse, le projet de décret est à l’agenda du parlement de la Communauté française. Trois semaines nous séparent de la séance prévue pour le vote en plénière.  Une concertation sous forme de marche au bord de la mer du Nord abasourdit Muriel de Bergeyck. Formidable première « recrue ».

Une pétition de 30 000 signatures et 24 heures consécutives de débat parlementaire, record depuis la création de la Communauté française, n’infléchira pas la majorité PS-Cdh.  A l’aube, le texte est voté. Quelle déception pour les « drôles de dames » (surnom dont nous ont qualifiées nos enfants d’abord sceptiques et ensuite collaborateurs efficaces de cette intense mobilisation).  Cette longue nuit de bataille majorité contre opposition a néanmoins ébranlé le monde politique et éducatif. Elle nous a convaincu également de l’importance d’une présence citoyenne attentive lors des débats en matière éducative au parlement de La communauté française.

Epuisées, nous prenons acte de l’issue du vote réconfortées par de nombreux messages d’encouragement. Des responsables éducatifs nous invitent à poursuivre la démarche initiée vu le blocage actuel du système éducatif. Quelques parents et professionnels de l’enseignement s’associent aux mamans pétitionnaires pour porter la voix parentale. L’ASBL ELEVeS (Ecoles Libres Efficaces Vivantes et Solidaires*) voit le jour à l’automne 2007.

Novembre 2007, deux jours avant la date de début des inscriptions en 1ere secondaire fixée par le décret Arena, des « campeurs » campeurs » s’installer devant les portes d’une centaine d’écoles. Une sur cinq à l’échelle de la Communauté et une sur deux à Bruxelles.

Après avoir dénoncé la communication fallacieuse du Cabinet sur ces files de parents soucieux de l’avenir scolaire de leurs enfants, ELEVeS se joint avec une centaine de requérants au recours en Cour Constitutionnelle offert par le SLFP (syndicat libre de la fonction publique). L’association a-réseaux se renforce et renforce les fédérations d’associations de parents reconnues par le gouvernement (FAPEO, enseignement officiel et UFAPEC, enseignement libre).

Nous ne pouvons oublier cette phrase d’un élu de la majorité entendue au cœur de la nuit inscription « nous ne pouvons pas faire confiance aux directions, nous ne pouvons pas faire confiance aux parents en matière d’inscription c’est nous qui devons décider en cette matière ». Elle continue à guider nos actions.

Marie Arena rejoint le gouvernement fédéral.  Christian Dupont explicite   dès notre première rencontre. Les objectifs poursuivis avec un Cabinet identique : ont supprimé les files et forcer les écoles dites « d’élites » à modifier leur public. La Mixité sociale serait le gage principal selon les chercheurs de notre Communauté française de l’amélioration des résultats de tous les élèves. Les mauvais résultats aux tests PISA en témoignent.

A la veille de la fête nationale, le 20 juillet 2008 est voté le décret « Mixité Sociale » déjà surnommé décret Lotto.

La brutale décision de l’échevine bruxelloise de l’instruction à la ville de Bruxelles, Faouzia Hariche bruxelloises de priver des centaines de familles de l’adossement provoque une onde de choc. Le collectif Décret Lotto, nouveau mouvement citoyen se crée.

La bulle des inscriptions touchera une famille sur huit à Bruxelles et en Brabant.

Malgré une intense mobilisation parentale, le cabinet Dupont refuse d’entendre l’inquiétude des centaines de familles niant toute problématique. Commencent alors huit mois d’intenses mobilisations jalonnées par diverses initiatives parentales tentant de rassurer leurs enfants. La réponse officielle « tous les enfants auront une place en septembre » ne peut les satisfaire C’est de manière créative qu’ils exerceront leur responsabilité parentale.

Décembre 2008, Eric Vandermeersch organisera une « nuit des sans écoles » qui se déroulera dans des écoles de tous réseaux. Place de la liberté, janvier 2009, le livre d’or d’une conviviale manifestation « Non au décret Lotto oui à des écoles de qualité pour tous » sera signé par plus  800 personnes.

Une enquête réunissant 970 questionnaires sera menée par Olivier Quatresooz, papa sans école. Elle mettra en évidence le fait que 87% de parents font confiance aux directions et souhaitent leur rendre un pouvoir de décision en matière d’inscription.

Le décret « sparadrap » proposé en mars 2009 par Julie De Groote (CDH) et Véronique Jamoulle (PS) suspend pour les années 2010 et suivantes le décret mixité sociale/lotto.

Malgré cette disposition, le cabinet répète inlassablement qu’il n’y a pas de problème.

Les « sans-écoles » plantent leurs tentes au pied de l’Atomium. Ils ont les « boules » !

Nous sommes en mai 2009 … approximativement 2500 enfants bruxellois et brabançons sont dans une bulle inexistante aux dires du Ministre.

ELEVeS et le Collectif Décret Lotto, avec le soutien de parlementaires de plusieurs partis, organisent des rencontres de crise.  Parents « sans école », le cabinet, des directions d’écoles, des parlementaires, des responsables de l’administration et des PO   tentent le dialogue.

Un changement survient fin août, pragmatique, le nouveau cabinet de Madame Simonet,  à la sixième rencontre  écoute les propositions  des parents. Des mesures concrètes permettront aux derniers enfants de « gagner » une école de leurs choix avant le 15 septembre.

A l’heure d’écrire ces lignes, un projet de décret est sur la table… et devrait être voté en urgence avant les vacances pascales. Nouveau compromis politique dont l’application risque de provoquer à nouveau de violence institutionnelle.  Sa complexité et l’importance des critères de proximité géographiques gomment l’aspect pédagogique. Pour nombre de familles de Bruxelles et du Brabant la question « quelle est l’école secondaire adaptée à mon enfant en fonction de mes valeurs et de ma réalité quotidienne se transforme en « dans quelle école mon enfant a-t-il le plus de chances d’obtenir une place ».  Prévoyez quelques heures de travail avec Google Earth à portée d’écran pour construire une ébauche de réponse.

Cette histoire née colère partagée par quatre mamans ne semble pas prête à se terminer …

Derrière l’apparence question anecdotique   question des inscriptions se posent nombre d’enjeux sociétaux, qu’une présence régulière aux débats du Parlement de la Communauté nous a permis mieux percevoir se perçoivent pourraient se résumer comme suit :

  • A qui revient la responsabilité du choix d’une école adaptée à un enfant : à ses parents ou à l’État ?
  • Le rôle des gouvernements de la Communauté française et flamande * est-il de gérer la pénurie de places dans des écoles reconnues de qualité par les parents ou mettre en place les conditions d’une éducation de qualité pour tous les enfants du pays ?
  • Organiser la lutte des classes pour une place en classe ajoutée à la lutte entre réseaux d’enseignement est- ce vraiment le souhait de nos concitoyens ?
  • La même école pour tous ou à contrario des écoles différentes dans leur histoire et proposant des projets éducatifs différents ?
  • Que choisir : refonder notre système éducatif sur la confiance, moteur de tout processus éducatif avec évaluation des résultats obtenus ou imposer l’instauration de procédures d’objectivation devenant aussi   complexes qu’illisibles ?

A nous de choisir, d’agir en connaissance de cause ….

Le projet de Pacte pour une enseignement  d’Excellence  initié par Joëlle  Milquet, poursuivi par Marie-Martine  Schyns nous offre, vous offre, offre à chacun de nous l’occasion de s’exprimer sur le futur de l’École en Fédération Wallonie Bruxelles.

 

Anne François

 

* La mobilisation parentale dépasse les clivages linguistiques et philosophiques particulièrement en Région Bruxelloise vu ses spécificités.